Anne Liu, experte en outils mobiles de surveillance des maladies, partage son expérience de soutien au Gouvernement de Guinée dans le cadre du lancement d’un programme numérique national de recherche des contacts pendant l’épidémie d’Ebola de 2014.
Les applications numériques de recherche des contacts peuvent être « plus efficaces et faciliter la mise en œuvre à plus grande échelle », comparées aux processus traditionnels de recherche des contacts.
Cependant, comme pour toute intervention technologique, la recherche numérique des contacts ne peut fonctionner que dans le cadre d’un effort de santé publique plus vaste et de processus solides centrés sur l’humain.
En déployant CommCare en Guinée pendant l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014, nous avons appris que les plateformes technologiques ne pouvaient réussir que si elles étaient soutenues par une forte équipe. Celle-ci peut comprendre des traceurs de contacts, des superviseurs, des volontaires, des partenaires et la communauté que la technologie vise à soutenir.
Nous avons compilé trois éléments clés à prendre en considération pour renforcer les systèmes numériques de recherche des contacts afin de soutenir cette équipe:
(1) Axer la technologie numérique sur le soutien des traceurs de contacts
Les traceurs de contacts constituent le fondement d’un solide programme de recherche des contacts. Leur capacité à établir une relation de confiance avec les membres de la communauté est essentielle au succès du programme et aucune application ne peut à elle seule garantir cela.
En plus de l’enregistrement et de la surveillance des contacts, un traceur de contacts peut fournir des communications sur la santé et un soutien psychosocial une fois que les visites commencent. Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, des visites de recherche des contacts avaient lieu quotidiennement dans les foyers de la communauté pendant la période d’incubation de 21 jours du virus Ebola. Cette période était essentielle pour pouvoir informer les contacts à risque, fournir un soutien psychosocial et lutter contre la stigmatisation.
À cette fin, une application de recherche des contacts devrait être conçue pour soutenir avant tout les flux de travail quotidiens d’un traceur de contacts, en aidant à organiser et à programmer les visites, en fournissant des moyens fonctionnels pour accroître l’efficacité des entretiens avec les patients (avec des outils comme le multimédia) et en rationalisant les efforts de collecte de données.
Bien que la plateforme puisse également être utilisée pour le suivi des performances, ce cas d’utilisation ne doit pas éclipser la priorité de répondre aux besoins des utilisateurs finaux. Il faut chercher à compléter le suivi des performances par une conception itérative avec les utilisateurs finaux, des méthodes de formation solides et une supervision de soutien pour maximiser l’utilisation.
- Formation axée sur des méthodes mixtes : En Guinée, nous avons utilisé des techniques d’apprentissage mixte pour former des traceurs de contacts à l’application CommCare. Cela a consisté en des formations traditionnelles en salle de classe avec des présentations et des jeux de rôle, mais aussi à l’intégration de courtes vidéos-conseils de 1 à 2 minutes directement dans l’application pour que les traceurs de contacts puissent s’en servir aux fins de rappels périodiques.
- Itération pour soutenir les utilisateurs finaux : Des lignes directrices peuvent éclairer le développement initial de l’outil, mais elles doivent souvent être adaptées lorsqu’il est mis en œuvre dans les communautés. Il convient de trouver un équilibre entre le respect des protocoles et ce qui se passe de manière réaliste lors des visites, et d’adapter les outils, dans la mesure du possible, pour qu’ils s’alignent sur le flux de travail que les utilisateurs suivent sur le terrain.
- Soutien entre pairs : S’il existe des traceurs de contacts individuels qui ont toujours du mal à utiliser la technologie, il faut penser à des mécanismes créatifs pour les soutenir. À Conakry, certains traceurs de contacts – dont bon nombre étaient un peu plus âgés – ne connaissaient pas les Smartphones et ont éprouvé des difficultés à utiliser le logiciel malgré les offres de formation, la supervision et les mises à jour de l’application. Cependant, ces personnes entretenaient souvent les relations les plus étroites avec les membres de la communauté. À cet égard, le Gouvernement Guinéen a recommandé de coupler certains traceurs de contacts qui entretenaient des relations solides avec la communauté mais n’utilisaient pas bien l’outil, avec des traceurs de contacts qui maîtrisaient bien la technologie, afin de maximiser les forces de chacun.
(2) Assurer l’utilisation efficace des données collectées dans le cadre des programmes de recherche des contacts
Une application numérique de recherche des contacts qui a beaucoup de succès auprès des chercheurs de contacts peut produire une mine d’informations sur les communautés. Ces données peuvent être précieuses pour permettre aux responsables de santé publique de comprendre les tendances en matière de transmission, de sensibilisation et de préparation des communautés, ainsi que les lacunes dans la couverture de la recherche des contacts.
Tableau est un outil de visualisation des données qui a été utilisé pour les tableaux de bord de la recherche des contacts dans le cadre du projet Ebola en Guinée. Les analyses d’utilisation intégrées à la plateforme nous ont permis de constater dès le départ que les vues des tableaux de bord étaient faibles. Cela nous a poussés à reconcevoir les tableaux de bord avec des experts bénévoles de Tableau afin de répondre aux besoins des utilisateurs finaux du Gouvernement – par exemple, en développant des tableaux de bord des performances clés des « 7 derniers jours » pour faciliter un aperçu rapide des activités.
De plus, l’Université Columbia a aidé le Gouvernement Guinéen à recruter des responsables informatiques locaux. Leur travail consiste à s’asseoir dans les bureaux de district et à soutenir les services de santé de l’administration locale en matière d’analyse et d’utilisation efficace des données. Par exemple, les responsables informatiques sont chargés, entre autres, du dépannage de base des téléphones portables, de l’examen quotidien des données soumises et de la communication des principales tendances aux équipes d’intervention locales.
(3) Mettre à profit les partenariats avec les communautés et les organisations locales et mondiales
Des relations solides avec les communautés locales sont essentielles au succès des nouvelles technologies. Les membres de la communauté peuvent contribuer à briser la stigmatisation qui entoure les nouveaux outils et susciter l’enthousiasme pour les nouveaux programmes. De plus, les membres de la communauté peuvent apporter leur soutien à la mise en œuvre, de l’installation initiale à la maintenance continue.
En Guinée, les membres de la communauté se sont mobilisés pour aider à relever le défi de la configuration des centaines de téléphones offerts. Il s’agissait notamment de régler les paramètres de langue, date et heure des téléphones, et aussi d’installer des logiciels de verrouillage des applications et des widgets d’économie de batterie. Comme ce processus pouvait prendre jusqu’à 15 à 20 minutes par téléphone, de jeunes volontaires des Blue Zones et du quartier Hamdallaye 2 ont offert leur aide pour l’installation et la distribution, ce qui a permis de terminer la configuration de toute la flotte d’appareils en une seule journée.
Des partenariats au niveau national et mondial peuvent renforcer davantage ces partenariats communautaires. En Guinée, des partenariats avec des entreprises de TIC ont permis de distribuer rapidement du matériel et des plans de données essentiels. Ericsson a fait don de 1 000 téléphones Sony Xperia E1, et la Mission des Nations Unies pour l’Action d’Urgence contre l’Ebola de 580 téléphones supplémentaires. Solektra international a offert des chargeurs solaires pour faciliter le chargement des téléphones, en plus de 33 panneaux solaires à installer dans les bureaux du Gouvernement qui consommeront les données. Par ailleurs, un partenariat avec la branche guinéenne de la société de télécommunications Orange a permis de fournir à un groupe fermé d’utilisateurs, un plan de données et un système de recharge automatique mensuels afin d’atténuer les perturbations des activités communautaires. Les communautés à elles seules disposent rarement de ressources nécessaires pour faciliter ces efforts, de sorte que des partenariats plus larges peuvent s’avérer essentiels au succès d’un programme.
Appliquer les enseignements tirés aux programmes de lutte contre la COVID-19
La technologie numérique peut être un levier pour soutenir les activités des programmes de santé publique. En outre, nous avons constaté qu’avec la COVID-19, les méthodes traditionnelles risquent de se heurter à des difficultés qui nous dépassent. De nombreux pays ont donc rapidement adopté les nouvelles technologies numériques pour la recherche des contacts COVID-19, et nous assistons à une explosion d’innovations de la part des anciens et des nouveaux acteurs sur le front technologique, dans leurs efforts de lutte contre la maladie.
Si ces nouvelles technologies peuvent être prometteuses, il ne faut pas perdre de vue lors des déploiements que la technologie ne peut avoir de succès que si elle est mise en œuvre avec une approche centrée sur l’homme. Les enseignements tirés de notre expérience dans la mise en œuvre de CommCare en 2014 pendant l’épidémie d’Ebola ont montré que le fait d’avoir centré notre programme sur les personnes – que ce soit en tirant parti de l’apport de l’utilisateur final dans la conception, en offrant une formation axée sur des méthodes mixtes ou en établissant des partenariats avec des groupes communautaires locaux et des parties prenantes mondiales – a été essentiel à la réussite du déploiement.
Si vous envisagez d’adopter la technologie pour soutenir vos efforts plus larges en matière de santé publique, nous vous encourageons à faire le point sur les personnes et les organisations qui seront essentielles pour aider à jeter les bases de votre programme. Elles vous aideront à surmonter les goulets d’étranglement dans la mise en œuvre et à contribuer à un effort communautaire de collaboration pour contenir la COVID-19.
Pour plus d’informations sur l’intervention de recherche de contacts en Guinée en 2014, veuillez contacter Mohini Bhavsar à mbhavsar@dimagi.com
Anne Liu, experte en outils mobiles de surveillance des maladies, à été précédemment Directrice associée des systèmes de santé à l’Institut de la Terre (The Earth Institute) de l’Université Columbia. Elle est Chargée de cours à l’Université Columbia et rédige ce blog comme une rétrospective de son expérience de soutien au Gouvernement de Guinée dans le cadre du lancement d’un programme numérique national de recherche des contacts pendant l’épidémie d’Ebola de 2014.
